Japon 2019
Sokushinbutsu ou les momies vivantes
Mardi19novembre
Nous quittons Chikuma pour continuer notre montée vers le Nord. Aujourd'hui, nous rejoignons la petite ville de Sagata mais à l'origine, cette étape devait être atteinte que le lendemain... L'objectif premier était de faire une petite excursion dans le parc aux singes de Jigokudani... Mais tout ne s'est pas passé comme prévu...
Nous voici donc dans la ville de Yamanouchi d'où on peut accéder au fameux parc aux singes de Jigokudani.
La rivière Kamuka
Je fais une rotation de 180 degrés et me voilà face à la rivière Yomase. Les deux rivières se rejoignent exactement ici.
j'aime ! | Le parc de Jigokudani est célèbre pour ses macaques qui se baignent dans les sources d'eau chaude, et ce pour le bonheur des photographes touristes... En ce qui nous concerne, nous n'en verrons pas la queue d'un... Les primates, amateurs de onsen, sont en phase d'accouplement et se sont retirés loin dans la forêt. Un peu déçu dans un premier temps, de ne pouvoir aller observer cette petite communauté de macaques, dans un second temps, la déception fut remplacée par le soulagement. En effet, après avoir trouvé un peu plus d'info sur le parc, il s'avère qu'il est en partie artificiel... Le bassin principal qui accueille les singes a été fabriqué par l'homme en 1967, et les singes sont nourris pour les attirer dans l'eau... C'est donc sans regret que nous décidons de prendre de l'avance dans notre itinéraire en rejoignant dès aujourd'hui la prochaine étape qu'est Sagata située à 5 heures de route d'ici. |
La pause déjeuner se fera dans la ville de Niigata dans le restaurant Kura de sushis dont le service se fait par tapis roulant. Tout se fait à distance ! Le choix des plats se fait sur l'écran tactile qui déclenche rapidement la venue du mets demandé sur le tapis supérieur. Si vous êtes fainéant, vous pouvez simplement prendre directement une des assiettes qui défilent sur le tapis inférieur... En fin de repas, la serveuse comptabilisera les assiettes consommées et selon leurs couleurs ou dessins obtiendra le montant total...
Nos quelques plats choisis.
A droite, le dessert warabimoshi kinako : du riz gluant recouvert de poudre de soja grillé. Il nous faudra au moins tout ça pour finir les 3 heures de route qu'il nous reste pour atteindre Sakata !
Mercredi20novembre
Nous sommes déjà le jour d'après, au petit matin, depuis la fenêtre de notre hôtel, non pas à Sakata mais à Tsuruoka, une des villes voisines.
La route de la veille au soir longeait souvent la côte ouest. Le vent soufflait fort et déchaînait littéralement la mer. Nous décidons donc d'aller voir si le spectacle est toujours aussi beau en plein jour... Nous tombons par hasard sur un beau spot entouré d'éoliennes. Et en effet, nous sommes juste devant la centrale électrique qui est protégée de la mer par une digue où les vagues viennent se fracasser. Le vent souffle très fort mais le spectacle est superbe !
La digue n'est pas là pour rien, au Japon les tsunamis ne sont pas de la fiction... On se souvient tous de celui qui ravagea la côte Est en 2011.
Un petit slow-motion de la tempête...
5 éoliennes sont placées le long de la digue, 4 autres sur la plage et encore une dizaine 3 kilomètres plus loin. La part de l'éolien dans la production d’électricité est de 1% au Japon (en France elle est d'environ 6%).
Les nuages s'accumulent et la lumière rajoute un peu de dramaturgie à la scène.
Hop fini les bêtises avec les grosses vagues ! Notre mission du jour est tout autre ! Après avoir vu un reportage sur Arte quelques mois plus tôt, je me suis mis en tête d'aller retrouver un moine bouddhiste... Pour être plus précis, un moine bouddhiste momifié car mort depuis 233 ans... Dans mes recherches pour localiser le lieu où "réside" le fameux moine, j'en trouvais trois autres pas plus vivants mais situés pas trop loin les uns des autres... Nous voici donc devant le temple Kaikoji, abritant sous son toit deux de ces momies...
Nous approchons du temple et toujours personne...
Les singes agrippés sous le toit ressemblent plus à des momies qu'à nos cousins primates... Est-ce un signe que nous sommes au bon endroit ?...
La porte est fermée. A l'intérieur, pas plus de monde qu'à l'extérieur...
Nous faisons donc chou blanc sur notre première tentative... Mais après vérification, elles étaient bien présentes dans ce sanctuaire mais nous n'étions sans doute pas devant le bon bâtiment...
Le temple Kaikoji est placé un peu hauteur avec vue sur la ville de Sakata
Deuxième tentative ! Nous passons à la petite ville voisine : Tsuruoka. Et plus précisément au temple Churen-ji qui est un peu isolé dans la jolie campagne dont la neige commence doucement à recouvrir le sol... Le temple est situé en haut d'une petite colline, espérons que la voiture puisse monter les routes et surtout espérons que nous pourrons les redescendre... !
Le temple semble en rénovation mais cette fois-ci, il y a du monde ! Il faut d'ailleurs faire une petite offrande "financière" pour pouvoir entrer dans le temple.
L'intérieur est sobre à part une petite pièce généreusement décorée.
Dans un petit coin, il est là, assis sur un autel derrière une vitre. Il se nomme Tetsumonkai Shonin. Il est né à Tsuruoka en 1768 et y est mort en 1829 à l'âge de 61 ans. Hé oui, c'est bien son corps qui est là depuis presque 200 ans. Momifié donc. Momifié oui, mais pas comme on l'entend habituellement. Momifié selon la pratique du sokushinbutsu. Le moine n'a pas vu ses organes être enlevés puis son corps être embaumé après sa mort. Non, ce n'est pas ce qui s'est passé... Après sa mort, il fut laissé en "l'état" et c'est le temps qui a momifié le moine. Si ce phénomène se produit quelques fois naturellement, c'est au contraire le sokushinbutsu lui-même qui décide de son vivant de rendre son corps "immortel"... Mais passons au temple suivant pour en apprendre plus sur cette pratique !
Et nous voici 10 minutes plus tard devant le dernier temple sur les trois repérés. La neige a redoublé d'intensité, n'oubliez pas que nous sommes le plus au nord de notre boucle sur l'île de Honshu ! Ce n'est pas le grand nord mais l'hiver approche et se fait bien présent... Espérons que nos petites vadrouilles autour des moines ne nous empêcheront pas de quitter la région, car nous devons entamer notre descente vers le sud dès aujourd'hui...
Dans le porche pour accéder au temple, des sandales waraji.
"Dans le Japon ancien, les waraji étaient les chaussures du peuple. Solidement arrimées au pied, séchant vite, elles permettaient de marcher dans les rizières. Du fait de leur faible coût et de leur solidité, elles étaient également appréciées par les moines bouddhistes ainsi que par les samouraïs qui avaient à parcourir de longues distances à pied. Il existait également des modèles destinés aux chevaux. Aujourd'hui, elles ne sont plus guère portées que par les moines."
© Wikipedia
Plusieurs siècles ont usé le bois de ce temple. Le temple Dainichibou a été fondé en l'an 807 ! Et le temple n'est pas vide, des moines sont là pour recevoir les badauds de passage !
Après avoir sorti quelques Yens, nous entrons à l'intérieur et restons seuls quelques minutes dans la grande pièce du temple... Aucun moine momifié dans les parages...
Soudain, un moine vient nous demander de nous agenouiller face à l'autel. Évidemment, nous nous exécutons mais nous nous demandons bien à quelle sauce nous allons être mangés... Puis le moine se saisit d'une grande perche dotée à son extrémité de longues lanières blanches, puis nous "purifie l'esprit" à distance du bout de sa lance en passant et repassant les rubans blancs sur notre tête. Une bénédiction wifi en quelque sorte... Nous ne comprenons pas grand-chose si ce n'est que nous devons participer à cette petite cérémonie pour avoir l'honneur de nous présenter devant Shinnyokai-Shonin le moine sokushinbutsu. Le moine, après avoir reposé sa grande lance, s'éclipsa alors derrière les grilles de la petite pièce... Puis venu de nulle part, un impressionnant enchaînement de percussion se mit à raisonner dans le temple. Nous seuls sous ce toit de plusieurs siècles...
Après un imposant silence, une jeune fille vient s'agenouiller à nos côtés... Ouf, enfin quelqu'un va nous dire ce qui se passe ! Et en effet, la jeune fille nous raconte en anglais l'historique des lieux puis nous invite à la suivre pour aller voir Shinnyokai-Shonin...
Et nous voici devant le Sokushinbutsu qui signifie tout simplement "moine momifié" mais qui peut aussi se traduire par "Bouddha dans son propre corps". Cet homme qui nous fait face, c'est lui que j'avais vu dans l'émission de Philippe Charlier "Enquête d'ailleurs" sur Arte. Il est un des rares moines à avoir décidé de suivre la voie du moine Kūkai Kōbō-Daishi dont nous avions visité le temple dans le cimetière de Okunoin. Cette voie consiste donc à préparer son propre corps à une momification "naturelle" pour qu'il perdure par-delà la mort.
C'est vers l'âge de 20 ans en 1707 que Shinnyokai-Shonin décide de devenir Sokushinbutsu devant son impuissance face aux ravages causés par la famine. Il va donc passer plus de 70 ans à se préparer pour devenir "immortel".
Cette préparation est bien codifiée, elle doit aboutir à un corps fait que de chair et d'os en s'appliquant un régime des plus draconiens : activités physiques et alimentation exclusivement faite de fruits secs puis de sève de laque ! Évidemment, il faut avoir un mental d’ascète, voire plus... Il en fera la démonstration en s'arrachant lui-même un oeil apprenant que ce dernier était atteint d'une maladie qui se répandait dans la région...
A 96 ans, il sentit la fin proche. L'étape suivante pouvait donc être entamée : entrer (définitivement) dans une citerne enterrée sous terre seulement reliée à la surface par un bambou pour laisser passer de l'air... A travers le bambou passait également une ficelle reliée à une cloche. Ne restaient au moine que la prière et la clochette à régulièrement faire tinter. Quand la ficelle ne bougea plus, ses disciples bouchèrent le bambou pour que l'air et l'eau ne passent plus dans la citerne. Ce n'est que 3 ans et 3 mois après que le moine est sorti de son tombeau-citerne. Si le corps du moine est toujours en "bon" état, il est alors officiellement Sokushinbutsu et est exposé aux fidèles.
Depuis le début, les habits du Sokushinbutsu sont changés tous les 6 ans lors d'une cérémonie. Les vêtements sont ensuite découpés en petits morceaux et sont mis dans des petits sachets vendus ensuite comme amulettes miraculeuses.
Tout ceci, la jeune fille nous l'a expliqué devant le moine et les amulettes installées devant nous. Après nous avoir demandé si l'achat des amulettes nous intéressaient (ce que nous déclinerons), elle nous demanda de joindre nos mains et de saluer en priant le saint qui nous faisait face... Prière faite, nous prenons alors congé de notre hôte en quittant la salle.
S'en suit un couloir où sont exposés plein de cadeaux et d'offrandes venus de tout le Japon et du monde entier.
S'ensuit un couloir dans lequel sont exposés plein de cadeaux et d'offrandes venus de tout le Japon et du monde entier.
Un Bouddha dépourvu de son oeil droit, sans doute en hommage à Shinnyokai-Shonin (bien que ce fut avec son oeil gauche quand on regarde de plus près la momie...)
Retour dans la salle principale.
Le tambour que le moine faisait résonner dans le temple pendant notre petite "intronisation".
Dans cette petite extension, cent statues de Kannons (Le bodhisattva Avalokiteshvara) offerts il y a 400 ans par Daimyo, un seigneur de province.
Voilà, c'en est fini pour les momies ! Et voici l'émission "Enquête d'ailleurs" de Philippe Charlier. Passez directement à la 11ième minute et 51 secondes et vous verrez furtivement la petite cérémonie avec la grande perche et les lanières blanches, à la différence près qu'avec nous, il nous chatouillait carrément la tête !...
Déjeuner avec vue sur le pont de Shimyama, et accessoirement sur notre assiette de ramen, la soupe de nouilles et plein d'autres ingrédients...
Nous reprenons la route. Il nous faut rouler doucement et croisons les doigts pour que notre descente vers le sud s'accompagne également de la fonte de la neige ! Nous devons réussir à rapprocher notre prochaine étape qu'est le parc de Nikko. Et heureusement, c'est bien ce qu'il va se produire. Ouf.
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